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Ιπποφαές (Το άλογο του Velasquez - Ηommage στη Ζωγραφική)

ακρυλικά σε λινό

Hippophae (Le cheval de Vélasquez - Hommage à la peinture)

acrylique sur toile

Hippophae (The Velasquez' horse - Tribute to painting)

acrylic on canvas

2017   

200x200 cm.

 

Hippophae

(Le cheval de Vélasquez - Hommage à la peinture)

 

Madrid, août 1651, atelier de Vélasquez.

Sur le sol, sous la fenêtre, deux pots en terre.

L'un contient une poudre mystérieuse que Vélasquez mélange avec le pigment blanc −son secret.

L'autre, des feuilles d'hippophae séchées et pilées qui donnent un pelage brillant aux chevaux.

Chaque jour, tôt le matin, le dévoué Juan de Pareja nourrit −d'une bonne dose du deuxième pot− l'équidé blanc, qui pose pour son maître. Il le tire lentement par la bride et l'attache devant la porte ouverte de l'atelier, au seul arbre qui pousse dans la cour arrière −un vieil érable, indécis et au caractère instable, puisque ses feuilles changent de couleur encore et encore, tout au long de l'année.

Juan range les pinceaux, les pigments, remplit d'eau le pot métallique, lisse la toile, assemble les chiffons doux dans la boîte en bois.

Diego Rodriguez De Silva y Velázquez entre dans son atelier et se met au travail face à un grand châssis de 310 x 243 cm, sur une toile qu'il a rapportée de son deuxième voyage en Italie. Le tableau a bien avancé, du moins dans la partie qui représente le cheval blanc, celui qui mâchonne avec une satisfaction indicible les feuilles d'hippophae que Juan, un instant plus tôt, lui a versées dans la musette en jute qui pend à sa nuque.

Vélasquez a l'intention de lui mettre un cavalier sur le dos, le roi Philippe, mais il ne le lui dit pas pas encore...

Il pense que ce portrait plaira beaucoup au roi, non qu'il n'ait pas aimé les précédents, bien qu'ils ne l'aient pas flatté tant que cela −chose difficile, d'ailleurs− mais celui-ci, Vélasquez le travaille avec une grande passion, plongeant presque la tête dans la musette où mange le cheval, tout en l'observant, avant chaque coup de pinceau.

«Celui-ci, celui-ci sera meilleur que les précédents, j'ai beaucoup travaillé ces derniers temps, j'ai voyagé, j'ai vu d'autres contrées, j'ai parlé avec des artistes, j'ai échangé des idées avec des amoureux de la peinture et des arts, j'ai réfléchi, j'ai souffert, j'ai vécu.

Celui-ci, celui-ci sera le meilleur de tous».

C'est ainsi que pense Vélasquez, assis sur la chaise usée qui lui convient si bien, lorsqu'il arrête pour un peu le travail. Il est élégamment vêtu, toujours de noir, sans aucun ornement si ce n'est le col en lin blanc, fin, presque transparent et porte des souliers en cuir de Cordoue, même pour travailler −jamais de pantouffles, comme il a entendu dire pour certains de ses collègues.

Nous sommes en août, c'est l'après-midi et la torpeur cherche quelqu'un pour jouer avec lui.

Le soleil l'endort, jetant sur ses paupières des rayons joueurs. Ses belles mains, aux doigts longs et fins, se reposent, à abandon sur le fond sombre de son habit.

Juan le laisse une petite demi-heure et puis, le réveille, car sinon, le taciturne Vélasquez va exploser!

Une journée de perdue! Je n'ai pas le temps! Les artistes n'ont jamais le temps! Le temps ne suffit jamais pour ce qu'ils veulent faire!

Vélasquez se lève furieux, va à la fenêtre et remplit l'un des petits vases qu'il tient dans la main avec un pot, pour le mélanger avec le pigment blanc, de sorte à le rendre plus transparent.

Il travaille, jusqu'à la tombée de la nuit −et la nuit tombe tard, en cette saison.

Le cheval, il est presque terminé. Presque!

Demain, il commencera à dessiner la figure du roi, il demandera à ce qu'on lui apporte un bel habit −peut-être celui qui rayonne comme un topaze jaune doré? Ils en vêtiront le mannequin fabriqué aux mensurations de Philippe et lorsqu'il aura aussi terminé l'habit, il peindra le visage.

Bien sûr, la surprise sera en partie gâchée, mais comment faire?

La photographie n'a pas encore été inventée.

Il doit bien poser pour lui en personne, le roi!

Après le dîner, Vélasquez va se coucher, presque aussitôt. Le sommeil, cependant, ne vient pas. Cela lui arrive souvent, ces derniers temps.

Au milieu de la nuit, alors qu'il se tourne et se retourne encore dans son lit, il lui semble qu'une lueur pâle sort de son atelier, traverse l'obscurité de la cour et grimpe à la fenêtre de sa chambre, piquée par la curiosité.

Il met ses pantoufles, une robe de la couleur du vin et roule, presque, dans l'escalier. Il ouvre prudemment la porte, pour ne pas l'effrayer et la faire fuir, cette inexplicable lumière.

Mais non, il est là, inchangé et stable, terrien et peint de sa main.

Le corps du cheval resplendit!

Vélasquez ne s'en trouble pas. Les artistes ne sont pas troublés par ce qui est au-delà du quotidien. C'est cela justement qu'il voulait. Il a réussi! Mais comment? Le rôle fatal du hasard?

Il se demande avec quel pot il a rempli le petit vase pour le mélanger avec son pigment.

Il n'en est pas du tout certain...

Le doute superbe de l'artiste!

Il contemple avec amour le cheval peint qui se tient là tout blanc, fier, beau, noble, libre.

Il s'approche du tableau, passe tendrement la main sur la crinière du cheval.

«Je ne mettrai jamais aucun cavalier sur ton dos», lui promet-il, chuchotant à ses petites oreilles roses.

Puis, il retourne dans sa chambre et s'endort calmement.

Le tableau est terminé.

 

Lui, le peintre des peintres, comme l'appelait Manet, qui avait tant besoin d'un conte pour s'endormir...

Buenas noches, mon cher Diego.

 

Vélasquez allait mourir neuf ans plus tard, en août 1660, après avoir donné sa liberté à l'équidé blanc qu'il avait peint, mais aussi à son esclave Africain et ami de longue date, Juan de Pareja.

 

T.M., avril 2016