Passer sous silence
« Il est des choses que l’on donne, des choses que l’on vend et d’autres qu’il ne faut ni vendre, ni donner mais garder pour les transmettre… ». (Maurice Godelier)
Ils ont des yeux pour voir et attendent de leurs oreilles que le secret soit levé » pleure le « passeur » au terme du voyage.
Une parole autorisée n’est en rien une parole d’autorité. Entre « cris et chuchotements » comment préserver l’audible ? Comment distinguer un son articulé d’un « bruit de langue », un souffle d’un râle ? « Les images font-elles du bruit ? » demande Antonin, espérait-il une réponse ? Probablement plus, quand dans la « justification» du tirage de son livre est imprimé :
« Ces fragments de textes, des bribes laborieuses d’une mise en mots, accompagnent des images. Les mots ne décrivent pas et les images n’illustrent pas.
Ce cahier est un territoire parcouru avec bien des difficultés et n’a pour seule ambition, dans l’état précaire qui est le sien, que de parler sans émettre de sons.
Les images ne font pas de bruit et les mots imprimés se lisent en silence.
Voici où j’en suis. »
Je ne crois guère au succès de mon ambassade, je souhaite profondément qu’elle soit vaine et que mon échec soit confirmé par votre relation à l’œuvre, dans un « face à face » sans intermédiaire ni témoin. Je n’ai pas le pouvoir de vous livrer le secret. D’ailleurs, y aurait-il un secret dont vous ne seriez pas instruits en votre « être » ? Teta délivre, toute en retenue ; la présence de ses œuvres se joue de nos repères et catégories. Sa force est dans sa fidélité à l’ouvrage. Un si long et silencieux parcours ne peut se mentir. L’artiste ne fait pas « des coups », il poursuit sa quête. À nous de nous interroger dans notre réception. « Qu’avons-nous fait de notre talent ? » serait un bon début.
Accordons nous le temps du regard. Reprenons nous et revenons au premier jour. À celui de « l’intime » où nous n’aurions « rien à déclarer » mais tout à vivre.
Il n’y a pas de manifeste, ni de déclarations grandiloquentes chez Teta (là est ma faiblesse), mais une attention portée au Monde, au Vivant. Simplement, seulement, sans autre forme de procès. Et ce n’est pas rien, cette extrême délicatesse, ce respect de l’autre et de « ses possibles ». La Vie n’est jamais banale et encore moins ordinaire.
« Mépriser la banalité et priser l'extraordinaire n'est qu'un point de vue qui a sombré dans la perception secondaire. Le buji ou l'ordinaire sont des états simples et naturels. À côté l'extraordinaire n'est que ce qui est fabriqué ». (Soetsu Yanagi)
Les derniers tableaux et dessins de Teta relèvent de cette attention soutenue à ces « faits et gestes » de notre vie quand elle « se retrouve » et s’interroge au « plus prés » comme sur un « au plus loin ». L’enjeu n’est pas immédiatement perceptible. Nous ne saurons pas ce qui anime les protagonistes, ni leur questionnement, ni l’intrigue qui n’avouera rien. Les pièces dîtes « à conviction » resteront aussi obscures à notre intelligence que le sont notre « prochain » ou notre « lointain ». Il nous faudra percevoir par d’autres moyens. Il faudra chercher en nous-même ce que par lassitude nous avons tu ou pire, ce que la paresse a égaré.
Pourtant il est « extraordinaire » de pouvoir s’émerveiller encore de cet ordinaire banalisé.
Les œuvres sont source et cheminement. S’y confier, se laisser porter, s’y abandonner, s’en saisir… À chacun son invention. Mais quel est le secret qui nous est transmis et que nous reconnaissons comme nôtre ? Nous l’avons toujours su, porté en nous et cependant il nous faut le retrouver. L’artiste n’est que le « Stalker » dans un parcours initiatique. Il œuvre en silence et nous donne la parole.
À chacun ses mots en son « for intérieur ». Nous ne sommes pas au spectacle et « cela ne regarde que nous ». C’est là un « à faire » très personnel, bien que…
Que cela nous regarde ou que nous soyons le regardeur, que se passe-t-il dans cet échange ? La peinture est notre réel, nous sommes son enjeu. « Mais pourquoi le réel doit-il être sauvé ? » (J.M.Schaeffer)
Regardez les œuvres de Teta, attardez-vous, arrêtez-vous comme pour « un arrêt sur image ». Mais n’oublions pas que ces images sont des peintures ou des dessins et que, dans notre élan il nous faudrait aussi interroger le « comment c’est peint ». Ce comment nous délivre autant que le pourquoi, aussi dois-je me taire et vous passer le relais, parce que là c’est vraiment votre vie « qui attend d’être vécue » sous un autre regard. Le Vôtre.
Michel Salsmann , peintre
Paris 2008
Pour le catalogue réalisé à l'occasion de l'expostion de Teta Makri, galerie Zina Athanasiadou, Janvier 2009
Maurice Godelier. Au fondement des sociétés humaines : ce que nous apprend l’anthropologie. Ed. Albin Michel. 2007.
Antonin : SE TERRER, pas se taire. Ed. Atelier MS. 2006.
Soetsu Yanagi, exposition du Quai Branly 2008, "L'esprit Mingei au Japon."
Jean-Marie Schaeffer. MS. 1991.